L'idée de faire des photos de reflets dans l'eau m'est venue en juillet
2012, après avoir passé quelques jours au festival d'Avignon. Trois jours en
Ardèche, au calme, au bord d'une rivière m'ont laissé le temps d'observer. Et
l'observation génère souvent une multitude d'idées intéressantes. Dans mon cas,
ce fut de constater que l'eau peut être regardée de diverses manières. On peut
y voir simplement de l'eau; au mieux examiner son contenu ou le fond. Dans ce
cas, notre œil se "focalise" sur ce qu'il voit, ou a l'habitude de voir,
c'est-à-dire le plus souvent la surface du liquide. Le reste, en particulier
les reflets, reste flou.
Je ne sais par quel hasard, probablement à cause de la falaise qui
trônait sur l'autre rive, mon regard s'est mis à utiliser la surface du liquide comme miroir. Dès lors, tout change. Tout est inversé, bien sûr. Mais tout est
différent. Les couleurs ne sont plus tout à fait fidèles à la réalité. Et
surtout, l'image est tributaire de l'état de surface de l'eau. Un nageur, un
caillou lancé, ou simplement le vent peuvent modifier d'une manière très riche
et variée la perception de l'environnement réfléchi.
A mon retour, je suis allé au bord du Léman, dans la rade de Genève,
afin d'essayer de capturer au mieux ces fameux reflets. Techniquement, cela
demande quelques procédures et réglages particuliers. Les premiers essais
furent, comme souvent, si ce n'est désastreux, du moins totalement ternes et
inintéressants. La persévérance étant souvent le moteur du progrès, après quelques
escapades dans les divers ports du Léman (Versoix, Port Choiseul,…), ainsi
qu'au bord de plusieurs lacs du Valais, le technique s'affine.
Pourquoi donc s'intéresser aux reflets ?
Parmi tous les sujets possibles en photographie, je cherchais une
manière d'approcher un résultat artistique. Non pas dans le sens d'une œuvre d'art,
ce qui pourrait paraître prétentieux, mais dans le sens de retranscrire une
émotion ou de provoquer une réaction, quelle qu'elle soit.
Mes photos de reflets sont rarement figuratives. C'est plus le côté
abstrait qui m'attire, en donnant une grande importance aux couleurs, aux formes
et aux textures. Il faut dire également qu'à notre époque la plupart des
photographes sont exaspérés par les dérives du droit à l'image et aux problèmes
annexes qu'il soulève. Quasiment tout ce qu'on peut photographier en extérieur
est susceptible de générer contestation, oppositions, etc. Que ce soit des
personnes, des animaux, des lieux. La loi et les diverses jurisprudences sont
très complexes et peuvent varier de pays en pays, voire de ville en ville pour
un même pays.
Au moins, en photographiant l'eau, le ciel, le feu, les animaux sauvages
le risque est réduit. Cela semble anodin, mais c'est une réelle préoccupation
dans le monde de la photo.
Bref, revenons aux reflets. Les reflets aquatiques demandent quelques adaptations au photographe.
Bref, revenons aux reflets. Les reflets aquatiques demandent quelques adaptations au photographe.
Quand
La meilleure qualité est obtenue durant la saison froide, avec une
atmosphère claire et limpide, si possible avec un soleil rasant, c'est-à-dire
tôt le matin ou tard le soir. Heureusement les notions de tôt ou tard, durant
l'hiver, correspondent à des heures "civilisées".
Comment
La physique, et l'optique en particulier, nous enseigne que la réflexion
sur une surface transparente est d'autant plus importante que l'angle
d'observation est faible. Il faut donc photographier en réduisant l'angle entre
la ligne de visée et le sol. Je dirais moins de 30 degrés, si possible.
Problèmes techniques
Dans une photo de reflet aquatique, on garde le plus souvent une petite
partie de la surface de photographiée (cropping, plus que simple recadrage). Il
faut donc disposer d'une bonne résolution native. Ensuite, il vaut mieux
utiliser un objectif à longue focale. J'utilise un Nikkor AF-S 28-300mm monté
sur un Nikon D800. La raison du zoom tient en partie à la difficulté de
s'approcher de l'eau. Beaucoup de mes photos sont prises depuis des jetées où
sont amarrés les bateaux. Il faut donc souvent effectuer un recadrage qui évite
les enchevêtrements de cordes, ancres et tuyaux de toutes sortes. Pour des
prises de vues à plus grande distance il est important d'avoir une grande
profondeur de champ. Je dirais même une profondeur de champ maximale, étant
donné que l'objet photographié est quasiment dans le prolongement de la ligne
de visée.
Les poussières et tout autre petit objet flottant sont gênants. Je les supprime donc manu militari en post-traitement.
Les poussières et tout autre petit objet flottant sont gênants. Je les supprime donc manu militari en post-traitement.
Problèmes philosophiques
L'eau bouge, et c'est là tout le problème. Deux photos de reflet faites
à un dixième de seconde d'intervalle seront totalement différentes; si ce n'est
les couleurs, du moins les formes.
J'ai oublié de le préciser, tellement cela me semble évident, mais
photographier la réflexion d'un objet ou d'un paysage à la surface d'une eau
parfaitement plate ne présente, à mon sens, absolument aucun intérêt. Le
résultat est donc dépendant des conditions extérieures, de tout ce qui peut
perturber l'état de surface du liquide; essentiellement le vent. Non seulement
son absence ou sa trop grande force rendent le sujet inexploitable, mais ses
variations peuvent fournir des résultats très différents.
Je pense que la question philosophique commence à se dessiner. Qu'est-ce
qui caractérise une photo esthétiquement réussie d'une qui l'est moins ? Le
hasard. Et c'est là que le bât blesse. Généralement hasard et réussite ne font
pas bon ménage. De plus, avec des appareils permettant facilement de prendre
des photos en rafale, pourquoi ne pas prendre dix ou vingt photos et choisir la
meilleure ? Beaucoup de photographes le font, alors pourquoi pas ?
J'ai essayé et j'ai arrêté. Je dois dire, moins pour des considérations
philosophiques que pour des problèmes pratiques. Comme il faut parfois extraire
une petite portion d'image et la traiter un minimum, le procédé devient long
et fastidieux. Bien entendu il m'arriver de faire trois ou quatre photos d'un
reflet intéressant, mais jamais systématiquement et jamais en rafale.
J'assume donc le choix limité, le hasard, mais je me concentre sur le sujet,
le cadrage, le traitement et l'atmosphère qui peut se dégager.
Ayant fait un livre photo intitulé "Reflets aquatiques" en accompagnement d'une exposition en octobre 2014, je me suis posé une question fondamentale concernant le titre d'une photo abstraite: faut-il qu'il soit immédiatement visible, ou bien le spectateur doit-il le découvrir après coup, s'il le désire ? Je n'ai pas la réponse. Certaines personnes m'ont dit que voir le titre court-circuite leur imagination et les mène trop vite vers la vision de l'auteur. Ce qui m'a fait penser à spécifier uniquement un numéro sur chaque photo, le titre n'apparaissant que dans la table des matières.
Cependant, d'autre personnes préfèrent voir le titre tout de suite et essayer de trouver ce qui justifie son choix. Elles prennent l'exercice comme un défi. Je suis donc conforté dans l'idée qu'un titre est plus que jamais indispensable,mais je suis encore indécis sur le fait de le spécifier d'emblée.
Une de mes premières séries de photos de reflets a été prise à Versoix, plus exactement à Port Choiseul, fin juillet 2012, en fin d'après-midi par un soleil éclatant. Ce petit port, à la sortie de la localité, abrite des bateaux de plaisance, essentiellement des voiliers. Lorsqu'il fait beau, l'activité y est intense. L'avantage de photographier en hiver est le calme quasi absolu et l'absence de perturbations humaines de la surface de l'eau.
Voici d'abord des mâts de bateaux. L'image a été tournée de 90 degrés vers la gauche. Elle peut faire penser à des traces de peinture ou à des strates veinées dans de la roche. On comprend l'importance du mouvement de l'eau, ici de faible amplitude. On voit également l'utilité d'une grande profondeur de champ, une quinzaine de mètres dans le cas présent.
Voici une photo prise au même endroit, dans des conditions semblables, mais avec un éclairage différent, notamment un ciel bleu. On se rend bien compte de l'importance du mouvement de l'eau, dont l'influence sur le résultat final est aussi grande que le choix du sujet lui-même. Elle me fait penser aux tracés sur oscilloscopes ou autres appareils hospitaliers de contrôle ou de réanimation, d'où le titre.
Une photo dans le même genre, prise le même jour, mais avec des conditions de vent différentes. On devine une légère brise tremblotante, générant des vaguelettes plus tortueuses, pouvant faire penser à des dessins rupestres sur les parois d'une grotte.
Un reflet de voile multicolore m'a tout de suite fait penser à un chien, au centre, avec l'oeil, l'oreille et la truffe. Ce qui m'a intéressé est le contraste entre le sujet coloré et finement ciselé, et le fond plus doux et flou. C'est un exemple typique d'image qui ne peut être obtenue autrement que par réflexion.
Voici un autre exemple d'effet observable à la surface de l'eau. Comme un moiré. J'avoue que je ne me souviens plus quel objet est ainsi réfléchi. Une voile certainement, la variété n'est pas immense dans un port. Là encore, ce qui m'intéresse est la texture et le "dessin" obtenu.
Pour terminer cette première série de reflets, voici une première photo assez banale en apparence, jusqu'au moment où certains y découvrent une sorte de bonhomme de neige tout blanc, avec son bonnet et la large bouche ouverte. Moi, j'y ai vu une femme aux cheveux mauves, la cigarette au bec, au-dessus d'un petit menton et d'un cou fuyant.
Et une seconde image qui met en évidence les deux façons qu'a la lumière de parvenir à nos yeux. Par transparence et par réflexion. La partie blanche ainsi que le "filet" sont un reflet, alors que le fond bleu et les poutres entrecroisées sont réellement au fond de l'eau. Selon l'angle de prise de vue, on peut jouer sur les deux aspects, par exemple en privilégier un.
Titres
Dans les photos abstraites, le choix des titres prend, à mon sens, une grande importance, surtout si la photo est montrée en public. Un titre, choisi par l'auteur, aide le spectateur à comprendre la représentation abstraite. Parfois il cherche, parfois il abandonne, parfois il y voit tout autre chose que le photographe. Lorsqu'il voit le titre, il essaie de trouver, de comprendre et souvent le déclic se fait.Ayant fait un livre photo intitulé "Reflets aquatiques" en accompagnement d'une exposition en octobre 2014, je me suis posé une question fondamentale concernant le titre d'une photo abstraite: faut-il qu'il soit immédiatement visible, ou bien le spectateur doit-il le découvrir après coup, s'il le désire ? Je n'ai pas la réponse. Certaines personnes m'ont dit que voir le titre court-circuite leur imagination et les mène trop vite vers la vision de l'auteur. Ce qui m'a fait penser à spécifier uniquement un numéro sur chaque photo, le titre n'apparaissant que dans la table des matières.
Cependant, d'autre personnes préfèrent voir le titre tout de suite et essayer de trouver ce qui justifie son choix. Elles prennent l'exercice comme un défi. Je suis donc conforté dans l'idée qu'un titre est plus que jamais indispensable,mais je suis encore indécis sur le fait de le spécifier d'emblée.
Précisions
Il convient de préciser que ces photos de reflets aquatiques ne sont pas modifiées, si ce n'est un recadrage et parfois une augmentation du contraste ou de la saturation. L'image en elle-même n'est pas autrement altérée. N'importe qui peut s'en convaincre en allant se balader au bord de l'eau, en se mettant accroupi et en observant non pas la surface de l'eau, mais les reflets qu'elle génère. Après l'avoir constaté une première fois, on ne voit plus une surface liquide de la même manière. Si vous ne voulez pas prendre ce risque, ne faites jamais ce que je viens d'indiquer.Exemples
(N'hésitez pas à cliquer sur les photos, afin de les voir en plus grand)Une de mes premières séries de photos de reflets a été prise à Versoix, plus exactement à Port Choiseul, fin juillet 2012, en fin d'après-midi par un soleil éclatant. Ce petit port, à la sortie de la localité, abrite des bateaux de plaisance, essentiellement des voiliers. Lorsqu'il fait beau, l'activité y est intense. L'avantage de photographier en hiver est le calme quasi absolu et l'absence de perturbations humaines de la surface de l'eau.
Voici d'abord des mâts de bateaux. L'image a été tournée de 90 degrés vers la gauche. Elle peut faire penser à des traces de peinture ou à des strates veinées dans de la roche. On comprend l'importance du mouvement de l'eau, ici de faible amplitude. On voit également l'utilité d'une grande profondeur de champ, une quinzaine de mètres dans le cas présent.
Sans titre
Voici une photo prise au même endroit, dans des conditions semblables, mais avec un éclairage différent, notamment un ciel bleu. On se rend bien compte de l'importance du mouvement de l'eau, dont l'influence sur le résultat final est aussi grande que le choix du sujet lui-même. Elle me fait penser aux tracés sur oscilloscopes ou autres appareils hospitaliers de contrôle ou de réanimation, d'où le titre.
Mort clinique
La prochaine photo a été prise dans la rade de Genève. Ce qui m'intéresse est le contraste entre le calme des reflets du ciel et les lignes fortes donnant l'impression d'un profil de femme. Quelques personnes pensaient que j'avais simplement ajouté des traits noirs, alors qu'il n'en est rien.
La prochaine photo a été prise dans la rade de Genève. Ce qui m'intéresse est le contraste entre le calme des reflets du ciel et les lignes fortes donnant l'impression d'un profil de femme. Quelques personnes pensaient que j'avais simplement ajouté des traits noirs, alors qu'il n'en est rien.
L'inconnue des ondes
Une photo dans le même genre, prise le même jour, mais avec des conditions de vent différentes. On devine une légère brise tremblotante, générant des vaguelettes plus tortueuses, pouvant faire penser à des dessins rupestres sur les parois d'une grotte.
Sans titre
Un reflet de voile multicolore m'a tout de suite fait penser à un chien, au centre, avec l'oeil, l'oreille et la truffe. Ce qui m'a intéressé est le contraste entre le sujet coloré et finement ciselé, et le fond plus doux et flou. C'est un exemple typique d'image qui ne peut être obtenue autrement que par réflexion.
Chien éparpillé
Voici un autre exemple d'effet observable à la surface de l'eau. Comme un moiré. J'avoue que je ne me souviens plus quel objet est ainsi réfléchi. Une voile certainement, la variété n'est pas immense dans un port. Là encore, ce qui m'intéresse est la texture et le "dessin" obtenu.
Marée moirée
Pour terminer cette première série de reflets, voici une première photo assez banale en apparence, jusqu'au moment où certains y découvrent une sorte de bonhomme de neige tout blanc, avec son bonnet et la large bouche ouverte. Moi, j'y ai vu une femme aux cheveux mauves, la cigarette au bec, au-dessus d'un petit menton et d'un cou fuyant.
Femme à la cigarette
Et une seconde image qui met en évidence les deux façons qu'a la lumière de parvenir à nos yeux. Par transparence et par réflexion. La partie blanche ainsi que le "filet" sont un reflet, alors que le fond bleu et les poutres entrecroisées sont réellement au fond de l'eau. Selon l'angle de prise de vue, on peut jouer sur les deux aspects, par exemple en privilégier un.
Mosaïque
Ceci termine cette première présentation de photos de reflets.
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