jeudi 7 mai 2015

Reflets (1)

L'idée de faire des photos de reflets dans l'eau m'est venue en juillet 2012, après avoir passé quelques jours au festival d'Avignon. Trois jours en Ardèche, au calme, au bord d'une rivière m'ont laissé le temps d'observer. Et l'observation génère souvent une multitude d'idées intéressantes. Dans mon cas, ce fut de constater que l'eau peut être regardée de diverses manières. On peut y voir simplement de l'eau; au mieux examiner son contenu ou le fond. Dans ce cas, notre œil se "focalise" sur ce qu'il voit, ou a l'habitude de voir, c'est-à-dire le plus souvent la surface du liquide. Le reste, en particulier les reflets, reste flou.

Je ne sais par quel hasard, probablement à cause de la falaise qui trônait sur l'autre rive, mon regard s'est mis à utiliser la surface du liquide comme miroir. Dès lors, tout change. Tout est inversé, bien sûr. Mais tout est différent. Les couleurs ne sont plus tout à fait fidèles à la réalité. Et surtout, l'image est tributaire de l'état de surface de l'eau. Un nageur, un caillou lancé, ou simplement le vent peuvent modifier d'une manière très riche et variée la perception de l'environnement réfléchi.

A mon retour, je suis allé au bord du Léman, dans la rade de Genève, afin d'essayer de capturer au mieux ces fameux reflets. Techniquement, cela demande quelques procédures et réglages particuliers. Les premiers essais furent, comme souvent, si ce n'est désastreux, du moins totalement ternes et inintéressants. La persévérance étant souvent le moteur du progrès, après quelques escapades dans les divers ports du Léman (Versoix, Port Choiseul,…), ainsi qu'au bord de plusieurs lacs du Valais, le technique s'affine.


Pourquoi donc s'intéresser aux reflets ?

Parmi tous les sujets possibles en photographie, je cherchais une manière d'approcher un résultat artistique. Non pas dans le sens d'une œuvre d'art, ce qui pourrait paraître prétentieux, mais dans le sens de retranscrire une émotion ou de provoquer une réaction, quelle qu'elle soit.

Mes photos de reflets sont rarement figuratives. C'est plus le côté abstrait qui m'attire, en donnant une grande importance aux couleurs, aux formes et aux textures. Il faut dire également qu'à notre époque la plupart des photographes sont exaspérés par les dérives du droit à l'image et aux problèmes annexes qu'il soulève. Quasiment tout ce qu'on peut photographier en extérieur est susceptible de générer contestation, oppositions, etc. Que ce soit des personnes, des animaux, des lieux. La loi et les diverses jurisprudences sont très complexes et peuvent varier de pays en pays, voire de ville en ville pour un même pays.

Au moins, en photographiant l'eau, le ciel, le feu, les animaux sauvages le risque est réduit. Cela semble anodin, mais c'est une réelle préoccupation dans le monde de la photo. 

Bref, revenons aux reflets. Les reflets aquatiques demandent quelques adaptations au photographe.

Quand

La meilleure qualité est obtenue durant la saison froide, avec une atmosphère claire et limpide, si possible avec un soleil rasant, c'est-à-dire tôt le matin ou tard le soir. Heureusement les notions de tôt ou tard, durant l'hiver, correspondent à des heures "civilisées".

Comment

La physique, et l'optique en particulier, nous enseigne que la réflexion sur une surface transparente est d'autant plus importante que l'angle d'observation est faible. Il faut donc photographier en réduisant l'angle entre la ligne de visée et le sol. Je dirais moins de 30 degrés, si possible.

Problèmes techniques

Dans une photo de reflet aquatique, on garde le plus souvent une petite partie de la surface de photographiée (cropping, plus que simple recadrage). Il faut donc disposer d'une bonne résolution native. Ensuite, il vaut mieux utiliser un objectif à longue focale. J'utilise un Nikkor AF-S 28-300mm monté sur un Nikon D800. La raison du zoom tient en partie à la difficulté de s'approcher de l'eau. Beaucoup de mes photos sont prises depuis des jetées où sont amarrés les bateaux. Il faut donc souvent effectuer un recadrage qui évite les enchevêtrements de cordes, ancres et tuyaux de toutes sortes. Pour des prises de vues à plus grande distance il est important d'avoir une grande profondeur de champ. Je dirais même une profondeur de champ maximale, étant donné que l'objet photographié est quasiment dans le prolongement de la ligne de visée.

Les poussières et tout autre petit objet flottant sont gênants. Je les supprime donc manu militari en post-traitement.

Problèmes philosophiques

L'eau bouge, et c'est là tout le problème. Deux photos de reflet faites à un dixième de seconde d'intervalle seront totalement différentes; si ce n'est les couleurs, du moins les formes.

J'ai oublié de le préciser, tellement cela me semble évident, mais photographier la réflexion d'un objet ou d'un paysage à la surface d'une eau parfaitement plate ne présente, à mon sens, absolument aucun intérêt. Le résultat est donc dépendant des conditions extérieures, de tout ce qui peut perturber l'état de surface du liquide; essentiellement le vent. Non seulement son absence ou sa trop grande force rendent le sujet inexploitable, mais ses variations peuvent fournir des résultats très différents.
Je pense que la question philosophique commence à se dessiner. Qu'est-ce qui caractérise une photo esthétiquement réussie d'une qui l'est moins ? Le hasard. Et c'est là que le bât blesse. Généralement hasard et réussite ne font pas bon ménage. De plus, avec des appareils permettant facilement de prendre des photos en rafale, pourquoi ne pas prendre dix ou vingt photos et choisir la meilleure ? Beaucoup de photographes le font, alors pourquoi pas ?

J'ai essayé et j'ai arrêté. Je dois dire, moins pour des considérations philosophiques que pour des problèmes pratiques. Comme il faut parfois extraire une petite portion d'image et la traiter un minimum, le procédé devient long et fastidieux. Bien entendu il m'arriver de faire trois ou quatre photos d'un reflet intéressant, mais jamais systématiquement et jamais en rafale.

J'assume donc le choix limité, le hasard, mais je me concentre sur le sujet, le cadrage, le traitement et l'atmosphère qui peut se dégager.


Titres

Dans les photos abstraites, le choix des titres prend, à mon sens, une grande importance, surtout si la photo est montrée en public. Un titre, choisi par l'auteur, aide le spectateur à comprendre la représentation abstraite. Parfois il cherche, parfois il abandonne, parfois il y voit tout autre chose que le photographe. Lorsqu'il voit le titre, il essaie de trouver, de comprendre et souvent le déclic se fait. 

Ayant fait un livre photo intitulé "Reflets aquatiques" en accompagnement d'une exposition en octobre 2014, je me suis posé une question fondamentale concernant le titre d'une photo abstraite: faut-il qu'il soit immédiatement visible, ou bien le spectateur doit-il le découvrir après coup, s'il le désire ? Je n'ai pas la réponse. Certaines personnes m'ont dit que voir le titre court-circuite leur imagination et les mène trop vite vers la vision de l'auteur. Ce qui m'a fait penser à spécifier uniquement un numéro sur chaque photo, le titre n'apparaissant que dans la table des matières.

Cependant, d'autre personnes préfèrent voir le titre tout de suite et essayer de trouver ce qui justifie son choix. Elles prennent l'exercice comme un défi. Je suis donc conforté dans l'idée qu'un titre est plus que jamais indispensable,mais je suis encore indécis sur le fait de le spécifier d'emblée.


Précisions

Il convient de préciser que ces photos de reflets aquatiques ne sont pas modifiées, si ce n'est un recadrage et parfois une augmentation du contraste ou de la saturation. L'image en elle-même n'est pas autrement altérée. N'importe qui peut s'en convaincre en allant se balader au bord de l'eau, en se mettant accroupi et en observant non pas la surface de l'eau, mais les reflets qu'elle génère. Après l'avoir constaté une première fois, on ne voit plus une surface liquide de la même manière. Si vous ne voulez pas prendre ce risque, ne faites jamais ce que je viens d'indiquer.


Exemples

(N'hésitez pas à cliquer sur les photos, afin de les voir en plus grand)

Une de mes premières séries de photos de reflets a été prise à Versoix, plus exactement à Port Choiseul, fin juillet 2012, en fin d'après-midi par un soleil éclatant. Ce petit port, à la sortie de la localité, abrite des bateaux de plaisance, essentiellement des voiliers. Lorsqu'il fait beau, l'activité y est intense. L'avantage de photographier en hiver est le calme quasi absolu et l'absence de perturbations humaines de la surface de l'eau.

Voici d'abord des mâts de bateaux. L'image a été tournée de 90 degrés vers la gauche. Elle peut faire penser à des traces de peinture ou à des strates veinées dans de la roche. On comprend l'importance du mouvement de l'eau, ici de faible amplitude. On voit également l'utilité d'une grande profondeur de champ, une quinzaine de mètres dans le cas présent.


























Sans titre


Voici une photo prise au même endroit, dans des conditions semblables, mais avec un éclairage différent, notamment un ciel bleu. On se rend bien compte de l'importance du mouvement de l'eau, dont l'influence sur le résultat final est aussi grande que le choix du sujet lui-même. Elle me fait penser aux tracés sur oscilloscopes ou autres appareils hospitaliers de contrôle ou de réanimation, d'où le titre.



























Mort clinique



La prochaine photo a été prise dans la rade de Genève. Ce qui m'intéresse est le contraste entre le calme des reflets du ciel et les lignes fortes donnant l'impression d'un profil de femme. Quelques personnes pensaient que j'avais simplement ajouté des traits noirs, alors qu'il n'en est rien.


















L'inconnue des ondes



Une photo dans le même genre, prise le même jour, mais avec des conditions de vent différentes. On devine une légère brise tremblotante, générant des vaguelettes plus tortueuses, pouvant faire penser à des dessins rupestres sur les parois d'une grotte.




























Sans titre


Un reflet de voile multicolore m'a tout de suite fait penser à un chien, au centre, avec l'oeil, l'oreille et la truffe. Ce qui m'a intéressé est le contraste entre le sujet coloré et finement ciselé, et le fond plus doux et flou. C'est un exemple typique d'image qui ne peut être obtenue autrement que par réflexion.



























Chien éparpillé






Voici un autre exemple d'effet observable à la surface de l'eau. Comme un moiré. J'avoue que je ne me souviens plus quel objet est ainsi réfléchi. Une voile certainement, la variété n'est pas immense dans un port. Là encore, ce qui m'intéresse est la texture et le "dessin" obtenu.







Marée moirée

Pour terminer cette première série de reflets, voici une première photo assez banale en apparence, jusqu'au moment où certains y découvrent une sorte de bonhomme de neige tout blanc, avec son bonnet et la large bouche ouverte. Moi, j'y ai vu une femme aux cheveux mauves, la cigarette au bec, au-dessus d'un petit menton et d'un cou fuyant.


















Femme à la cigarette


Et une seconde image qui met en évidence les deux façons qu'a la lumière de parvenir à nos yeux. Par transparence et par réflexion. La partie blanche ainsi que le "filet" sont un reflet, alors que le fond bleu et les poutres entrecroisées sont réellement au fond de l'eau. Selon l'angle de prise de vue, on peut jouer sur les deux aspects, par exemple en privilégier un.










Mosaïque

Ceci termine cette première présentation de photos de reflets.

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